INDE - LA CLAQUE DU LADAKH

Plantons le décor.
Après un peu plus de 10 jours au Ladakh, cette fois-ci le point de chute pour me poser et écrire quelques mots s'appelle Alchi. C'est un village-oasis typique, écrasé par une masse de montagnes arrides culminantes à plus de 4000 mètres, avec ses petits champs de céréales irriguées par l'Indus tumultueux en contre-bas, ses grandes maisons modernes de style ladakhi (deux niveaux, murs blancs, grandes fenêtres en bois ouvragé), ses jardins fleuris, ses potagers, ses vergers d'abricotiers et de pommiers, et plus loin, en terrasse, des prés cernés de peupliers où paissent de tranquilles ruminants. Tout est calme, si ce n'est le glou-glou de l'eau canalisé qui dévale les étroites ruelles, et les ânes qui braient, de jour comme de nuit, à s'en décrocher la machoire.
Et bien sûr, Alchi possède son monastère bouddhiste avec ses moines aux bonnets rouges ou jaunes, suivant un grand ou un petit véhicule. Je ne me suis pas encore trop arrêté sur la question : ca reste encore pour moi bonnets blancs et blancs bonnets tout ça, malgré la lecture du guide, et je me suis programmé de (re)visiter au retour l'expo sur Bouddha, la Légende Dorée, présentée au Musée Guimet, pour essayer de clarifier la situation.
Le monastère d'Alchi est l'un des plus anciens du pays, fondé au XIème siècle.
Depuis mon arrivée, rejoint aussitôt par Valérie pour 8 jours avant sa reprise des cours de français donnés à Kolkata (Calcutta), on peut dire qu'on en a gouté du temple et du monastère ! Accroché à son piton rocheux, dans sa vallée, au coeur du village ou à l'écart, pour chacun d'eux, son environnement, son architecture, et son art sont remarquables ! Sans parler d'avoir la chance de pouvoir assister parfois à des cérémonies tenues par les moines (création d'un mandala, prières spasmodiées ou en musique ).
Comme journée témoin à raconter sur ce Ladakh si calme, silencieux, typique, minéral et beau, je vais prendre celle de mon départ de Leh, la capitale, pour rejoindre Alchi, donc.
Un départ désormais en solitaire puisque c'est également ce jour-là que Valérie reprend son vol pour Calcutta.
C'était top ce voyage d'une grosse semaine ensemble : à nous deux on s'est débrouillé comme des lamas éveillés pour visiter tous azimuts l'Est de la vallée de l'Indus. Avec notamment son Hindi maitrisé sur le bout de la langue et ma goût certain pour la planification, une affaire touristique rondement menée : on n'a pas chaumé en route, et on a facilement jonglé avec les transports ! Chaque jour a apporté son lot de “c'est magnifique”, “c'est hyper beau”, “whaou”, sans aller jusqu'au “Oh my god oh my god !” orgasmique de mes voisines de hublot à l'attérissage à Leh. Faut savoir se tenir aussi devant le sublime !
La machine à souvenirs a tourné à pleine cadence dès l'arrivée pour nous deux : les monastères de Hémis et de Thiksey, le café de la french bakery de Leh, la balade le long du lac Tsomoriri, la lumière unique à toute heure, les veg momos dégustés un peu partout, la famille de la guesthouse Thup-Wang de Leh, le bleu ciel pur et radieux, les 2H de remontée en camion militaire de Mahe vers le lac avec son infernal concert de casseroles et bien plus secoués qu'un gros sac d'oignons (j'aurai presque donné ma vie pour être réincarné dans en sac à patates à ce moment-là), les peupliers, le silence assourdissant, la gentilesse et le sourire des ladakhis, les montagnes partout, les nuages d'un blanc parfait, la barre de chocolat Daily Milk d'après-dîner, le tumulte de l'Indus, les “Julley” lancés à la cantonnade, et pour moi la journée de trekking à grimper en solitaire vers un col à 5500 mètres, non atteint ( ça s'improvise pas ces trucs-là) mais qui m'a foutu un bon mal de crâne à la descente, tout raplapla le matthias.
Le ladakh c'est quand même la claque ! A couper le souffle à tout point de vue.
En cette matinée du 28 août c'est donc l'heure du départ pour moi et celui des “au revoir” avec Valérie : Kolkata a l'air formidable hors mousson, et rendez-vous est pris pour un 4ème voyage en Inde ! Le premier pour moi c'était il y a 20 ans maintenant, avec un tour par le Rajasthan et la Vallée du Gange. On rajeunit pas mon bon monsieur.
Dernier petit-dej ensemble sur les épais tapis et la table basse du Dining Hall avec toute la famille ( les parents, le fils qui se prépare pour sa journée d'école, déjà en uniforme, la grand-mère) : les chapati tout chauds, la confiture à l'abricot, le beurre, le massala tea, et pour moi l'omelette aux herbes du jardin, toujours savoureuse ! Calé pour la matinée.
J'ai laissé une nouvelle fois mon gros sac à la guesthouse pour me munir du strict nécessaire le temps de quelques jours à découvrir la vallée de l'Indus à l'ouest de Leh cette fois-ci.
Installé sur les hauteurs de la ville, je redescends vers la New Bus Stand tout en bas à 20/25 min à pied, saluant au passage le grand chien blanc qui chaque jour nous a fait office de vigie lymphatique à l'entrée de ruelle, étonnamment allongé sur le haut du mur de sa propriété.
Tout le coin de l'auberge est en intense frénésie immobilière touristique, et je croise de bon matin une armée de jeunes travailleurs indiens venus des régions pauvres du sous-continent, grimpant en chemin inverse : avec leurs vêtements abimés et poussérieux, leur minceur, leur teint sombre, la lassitude marquant leurs visages, sortant par grappe de chaque ruelle, ils me font penser à une armée de zombies venue d'une autre planète...et pourtant c'est la même, mais on n'aura pas eu la même vie.
Nouvelle traversée du Main Bazar avec ses paysannes alignés et assises à même le sol pour vendre fruits et légumes, puis la station de bus.
Checké la veille, 8H50, c'est l'horaire de départ de mon mini-bus pour Basgo, mon premier stop pour visiter un monastère recommandé par le Routard, qui reste ma bible.
C'est un peu un second voyage qui commence pour moi, maintenant que je suis seul à nager dans le petit bain ladakhi. Car c'est bien différent ici du grand bain indien : c'est bien plus simple et facile de se diriger, de progresser dans son voyage sans une attention accrue de tous les instants, et peu de risque d'être noyé dans une foule indienne. D'autant qu'après une grosse semaine, je commence à bien maîtriser mon “petit ladakh”.
Ce grand bain, il est prévu d'y replonger dans 3 jours quand je prendrais le bus pour Manali sur les contreforts de l'Himalaya, puis direction Chandigarh, la ville planifiée par Le Corbusier, et Amritsar et son Temple d'Or des Sikhs, dont j'ai l'image gravé en tête depuis mon enfance avec la photo du livre des Michaud, “l'expédition Caméléon”.
Question logistique, aussi indispensable aujourd'hui que mon Routard, la carte off-line de la région sur open street map (osm pour les intimes) : toujours super fiable pour savoir à quel embranchement je dois faire arrêter le bus, et les fois où je me suis aventuré sur un chemin non tracé sur l'app, j'ai dû toujours faire demi-tour au final.
Le mini-bus devient vite omnibus tout le long de la sortie de la ville, où des dames ladakhis, style dames patronnesses locales, montent les unes après les autres en se saluant d'un “Julley” dynamique et souriant. Ca me fait penser à des amies de bus qui se retrouvent chaque jour à la même heure, pareils aux amis de trains de banlieue parisienne qui débriefent chaque matin du dernier épisode de “demain nous appartient”. Sauf que là, en lieu de débrief, c'est plutôt le missel qui est ouvert : et c'est tout un coeur liturgique bouddhiste qui va m'accompagner pendant mon heure de trajet. Avec le mélange des tessitures, c'est vraiment un chouette moment, et je m'imprègne vite des chants. Je reconnaîs le fameux mantra, que l'on retrouve sur toutes les petites guirlandes de drapeaux multicolores qui ornent maisons, clôtures, ponts, voitures, motos : aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um, aum mani padme um...
Comme d'habitude le monastère ne déçoit pas, notamment grâce à sa situation géographique: à Basgo, il a été construit sur un promontoire dominant l'Indus et sa vallée fertile, au milieu d'un chaos de gros blocs de pierres aux formes fantasmagoriques. Tout autour on croirait les vestiges d'une vaste ville errodés par le temps.
Je trénouille d'une temple à l'autre, je mitraille depuis les points de vue, et en croisant le moine gardien des lieux, je lui demande comment accéder au temple le plus réputé que j'ai trouvé fermé. Je ne sais si c'est ma bonne tête, ou bien mon ostansible médaille avec Bouddha que j'ai rapporté de Malacca ou de Penang ( je ne sais plus) portée par dessus l'effigie d'un tiki polynésien, mais l'ami sans bonnet rouge ou jaune me confie que la clé est planquée sous le pot de fleur à droite de la porte ! Pénombre, statue de plus de 10 mètres, murs aux 1000 bouddhas, offrandes multiples, coupelles de bougies à l'huile se consumant, j'ai le temple pour moi seul. Et je referme en ressortant, le sourire aux lèvres, capté par cet instant hors tu temps.
Descendant vers le village-oasis lui-même, je me mets en tête de traverser l'Indus pour rejoindre Alchi, ma destination finale en longeant un chemin surplombant le fleuve sur 10 km. Pas la nage ! Par un pont indiqué sur une carte pinaisée dans un dhaba de Leh. Quelques abricots cueillis en chemin sur les branches dépassant des murs de briques en terre crue et des biscuits me font mon dej du jour. Mais après une heure de marche à travers les chemins buccoliques, c'est la désillusion : le pont est en (re?)construction. Rebroussage et retour au point de départ. La circulation est rare à cette heure. Laissant passer quelques camions penjabis à la riche décoration iconique, je tente désormais le stop en solo auprès des petits véhicules. Avec Valérie, nous sommes tombés les deux fois pratiquées, sur des camions militaires bien serviables ( celui d'un régiment népalais de l'armée indienne avec ses recrues en visite à Hémis, et celui des cuisines du camp de Tsomoriri) .
Cette fois-ci pas de militaires roulants en vue, bien que cette partie de la région soit tout également très fortement militarisée comme ailleurs. Coincée entre la Chine et le Pakistan qui ont chacun accaparés un bout du Ladakh historique, le nombre de militaires parait plus nombreux que d'habitants ! Les vastes camps, avec leurs bâtiments occres et verts, leur matériel rutilant, leurs troupes de guerriers en turbans camouflages, s'égrainent le long de chaque route. D'où l'état impeccable du bitume presque partout d'ailleurs : du coup, en plus du trekking de haut-montagne, le Ladakh est devenu le paradis des motards et autres amateurs de Royal Enfield.
Après quelques minutes d'attente, une petite camionnette me prend en charge, un ladakhi pur jus au volant. Après les présentations rudimentaires d'usage, et un petit air de “alouette gentille alouette” fredonné par mon jovial chauffeur, ce dernier reprend son chapelet de prières d'une main, tout en se signant de deux mains, et en manoeuvrant son volant le long des lacets de montagne, tout en roulant très très très large sur la voie opposée à chaque virage. Certainement un avatar d'Avalokitésvara, le Bouddha de la compassion aux 1000 bras ! Précision : au Ladakh, la ceinture de sécurité est une vue de l'esprit ( de l'Eveillé? ). Et de fait un frein au cycle d'une réincarnation rapide ! Bon, c'était pas encore mon tour de rentrer dans le cycle et j'arrive à bon port : le pont vers Alchi
Le village est caché derrière un petit col, et c'est parti pour 4/5 km de marche : je laisse passer les rares autos qui me dépassent préférant découvrir tout progressivement la beauté des lieux. Les massifs montagneux pourpres et nuancés de brun écrasent littéralement la vallée de leur hauteur. Des chortens (stupas blancs) et des murs de mani ( murets sur lesquels sont déposés des centaines de galets avec l'inscription aum mani padme um) sont disséminés au milieu des habitations. Le monastère est au bout du village et donc cette fois-ci accessible sans grimpette. Semblable mais pourtant toujours différent. L'art monastique du bouddhisme himalayen semble offrir une richesse infinie. Assez fascinant quand on sait les conditions de vie extrème dans la région plus de la moitié de l'année. D'un autre côté c'est sans doute ces difficultés de vie et d'accès dans les siècles passés qui ont permis à cette civilisation de perdurer.
Dans les villages, les branches des abricotiers ploient sous le poids des fruits. C'est la pleine saison, et ici les habitants semblent plus interessés pour récolter l'amande du noyeau que la chair du fruit : des tas d'abricots éventrés pourrissent un peu partout, et fournissent un bon repas pour la vache qui passe par là.
Les guesthouses et autres home-stays sont une poignée regroupée autour du monastère. Je choisis au hasard, une grande maison bien entretenue, la Rantakchan Home-Stay : c'est une ferme avec un énorme abricotier plein de fruit, un noyer et des pommiers. Tok-tok : le papy qui m'accueille s'occupe de son arrière-petit-fils tout en me faisant visiter les lieux. La chambre est parfaite et typique : vaste, volée de fenêtres donnant sur la montagne, plafond en poutre de peupliers, un mince matelas bien ferme, des draps mickey et une lourde couverture synthétique hyper douce. Une salle de bains commune, avec ses toilettes à la turque et ses seaux de tout taille avec leur petit robinet : ça reste tout un art pour un occidental d'aller aux toilettes et surtout d'en ressortir adroitement et proprement... Une stéréotype de chambre en guesthouse.
Et avec le repas sur place c'est encore mieux !
Ce soir, après la réapparition du courant pour 19H30, ce sera donc Veg Momos, accompagnés d'une soupe de légumes et d'un thé au beurre salé typique du coin.
Les Momos (on prononce “momozz”), c'est souvent hyper-bons, surtout faits à la maison : de gros raviolis farcis au chou, épinard et encore carotte. Je m'étais déjà fait la remarque en Turquie puis en Iran : c'est drôle que l'on retrouve les raviolis tout au long des routes de la Soie, et jusqu'en Italie évidemment, le Ladakh ayant été une plaque tournante des caravanes entre le Tibet, la Chine et les ports de l'Inde.
Je prends mon repas avec toute famille, dans la cuisine équipée/salon Tv/salle à manger/tapis-table basse: disposition quasi identique à celle de la guesthouse de Leh.
Le ventre bien plein (tant qu'on ne dit pas stop, on nous ressert dès que l'assiette est à peine vide !).
Puis Bollywood à la TV !
Un “vieux” film début 2000's avec Kareena Kapoor en post-adolescente prête à être mariée par ses parents à un bellâtre riche et bodybuildé, mais avec ses copines, elle résiste la bougre : une comédie romantique cousues du fil blanc des écharpes bouddhistes. Ca m'a bien fait rire.
Suis parti me coucher après la 2ème coupure pub ( pubs qui me font bien rire aussi ! ) .
20H15 extinction des feux.
Demain m'appartient aussi, et c'est un autre jour.
Ps : 30 août – Alchi
Demain matin, j'ai un bus qui m'emmène sur 2 jours (!) à Manali sur les contreforts de l'Himalaya : retour dans le chaudron indien.
J'ai écrit ce texte alors que je suis un peu malade du bide depuis hier soir, c'est venu d'un coup: l'orgie d'abricots ? Avec les jambes coupés, je dois avoir un peu de fièvre aussi : j'ai commencé à me soigner, mais du coup, j'appréhende un peu l'équation “intestins en vrac + je me traîne + 17 heures de bus” ...