04/03 - 13/03/2009 - LA SORCIERE HANTU
Ce serait pas un coup de la sorcière Hantu, ça ?
Dites moi !
Depuis quelques jours maintenant , j'ai l'impression d'avoir un peu la poisse , le mauvais oeil, en fait depuis mon arrivée en Malaisie .
La sorcière Hantu , survivance animiste dans ce pays à majorité musulmane , elle peut être facilement évoquée par tout un chacun pour justifier ce que ne tourne pas rond dans sa vie .
En l'occurrence , j'ai maintenant une petite liste de petites et grosses contrariétés à sa charge !
A la barre la Sorcière !
Premièrement, pour une fois , je ne sens pas cette ville, de Kuala Lumpur.
D'un autre côté ça me rassure presque , je ne suis donc pas béat de curiosité à chaque fois que je foule une nouvelle terre .
Là , ça ne m'intéresse pas vraiment de savoir et de comprendre mon environnement , au premier abord : rien ne me semble vraiment « original », ne m'interpelle.
Le syndrôme du voyageur , après 4 mois ? Blasé ? Je ne sais pas encore .
Pourtant , toujours reçu dans d'excellentes conditions, puisque je suis hébergé chez mon amie Sarah qui bosse dans la région, je ne pars pas tout de suite à la découverte de la cité , préférant passer mes premières heures à mettre à jour mon blog ( et oui , j'avais pris un retard dingue dans ces coins aux connections peu rapides ( Pâques , Polynésie ) et à décharger mes centaines de nouvelles photos .
Confortablement installé chez Sarah puis derrière la vitrine du Café Illy du grand centre commercial ultra-luxueux dénommé« Pavilion » , je regarde aussi passer les clients . De jeunes gens nantis très mode mondialisée .
Pavilion, c'est la toute nouvelle Mecque de la consommation de la Ville : gigantesque , moderne , luxueux .Un truc : je n'arrive pas à comprendre pourquoi les grandes marques de luxe occidentales, dans ces pays pétroliers ( Versace , Prada , Bulgari, Hermes , Dior, Chanel , ... véritablement alignées comme au régiment – c'est une expression , j'y ai pas mis un orteil, moi – , ..) présentent toujours les mêmes boutiques dans tous les grands Mall à deux pas les uns des autres . Ca les banalise complètement , et la rareté de ce Luxe me paraît alors définitivement factice .
Quand je me décide à partir à la découverte du monde de la capitale , ma positivité ne s'arrange pas trop . Pour accéder au très beau et intéressant musée d'art islamique , que d'autoroutes urbaines , d'auto-ponts , de changeurs traversés. Malgré l'engouement de Sarah pour cette ville où des poches de jungle demeurent , encore cachées derrière les dernières tours de verres à peine achevées avec leurs grues sur le toit , je trouve , moi , justement , que là où il y a les immeubles , il n'y a plus beaucoup d'arbres , et ceux encore debout peuvent déjà aller signer leur propre bulletin de décès à la vitesse où les murs de panneaux de chantiers semblent être mis en place partout . De plus , ici c'est le règne incontesté de la Voiture-Reine : parfois , j'ai eu un mal de chien à comprendre comment je pouvais traverser ces carrefours de 2 X 4 voies , quitte à rebrousser chemin . Le plan urbanistique de cette ville a dû être fait par un maniaque ennemi des piétons . En tout cas , il est certain que l'on fait d'abord les routes et les artères , puis, plus tard, les trottoirs, et un jour, peut-être , Inch Allah, les passages piétons .
Dans l'hyper-centre , il reste quelques bâtiments civils du temps de la présence anglaise , à l'architecture tout de même original, façon Sultanat sous les Tropiques, avec des coupoles de toutes les tailles , des arches , des escaliers extérieurs . En moins d'une heure , c'est plié . Donc demeure tout le reste . Un mélange anarchique de buildings, surgissant de rues un peu crapouilleuses , traversé par des voies rapides ou des ruelles encombrées de petits commerces en tout genre , de restos et de gargotes . Et souvent de grandes bouffées de gaz carboniques , très bonne pour la santé .
On me dira : « Mais, c'est ça l'Asie !!!! T'a rien compris , hé débilos ! Ce mélange de moderne et d'ancien, ce bazar organisé, foisonnant ! ». Peut-être , sauf que , contrairement à Singapour et à ses quartiers populaires qui pouvaient ressembler à cela aussi par ce mélange architectural bizarre et non dénoué de charme de par son inesthétisme même , avec tout en bas la vie traditionnelle qui continue , et bien, ici, je n'y crois pas , ça ne m'inspire pas . Je n'arrive pas à prendre de photos .
Pourtant , je retrouve ce mélange multiculturel qui m'avait bien plu chez la puissante petite voisine . Sauf que là ce n'est pas exactement les mêmes proportions : 50% de malais ( musulmans pratiquants) , 30 % de chinois , 10 % d'indiens . Visiblement , il n'y a pas vraiment de mélanges entre les communautés . Mon guide écrit que les tensions qui pourraient exister sont étouffées par le développement économique exponentiel qu'a connu le pays depuis 20 ans .
Alors que les chinois, parfois installés depuis plus de quatre siècles , tiennent les rennes de l'économie et les malais le pouvoir politique et administratif , chacun continue à ne pas apprendre la langue de l'autre , et ensemble c'est l'anglais qui est pratiqué . C'est même la discrimination négative ( positive ?pour les malais ) à l'encontre des chinois : puissant économiquement mais représentant une minorité, Sarah m'explique , par exemple, que certains emplois administratifs leur sont interdits au profit des malais ( « Les Princes du Sol ») et que pour avoir des prêts ces derniers ont le bénéfice de taux d'intérêts à 0% , alors que les premiers subissent automatiquement un taux à la limite de l'usure !Dans le même genre d'idée , l'Anglais est en passe d'être interdit dans les enseignements à l'école publique , au profit exclusif du malais . Je pense que le gouvernement tente de se tirer une balle dans le pieds …
Donc, dans la rue les jeunes filles malaises voilées de foulards colorés et strassés croisent chaque jour leurs voisines chinoises hyper-lookée , mais ne semblent pas s'arrêter pour s'échanger leurs phones numbers .
L'avantage de toutes ces communautés non agglomérées entre elle depuis des siècles ? Et bien , entre autre , la cuisine locale , bien sûr !!! En fait LES cuisines , puisque chacun propose la sienne : on se retrouve avec des dizaines de possibilités à chaque repas pour se restaurer ( cantonais , hainan , indienne, tamoul , hokkien , nyonyang, malaise, pakistanaise , j'en passe et des meilleures) . Les aliments sont bouillis, frits , sautés , en barbecue, panés, grillés , etc, etc . C'est même presque l'overdose toute cette profusion de nourriture aussi variée, partout dans les rues , tout le temps , presque à toute heure .
Autre spécificité qui m'amuse, liée à la répartitiion ethnique du pays , la pub. Pas mal de boulot pour les cabinets publicitaires puisque chaque communauté a ses propres marques , avec pour les chinois , toutes les grandes stars de Honk-Hong en tête d'affiche , que je reconnais parfois , étant un bon fan des films de Jonnie To et consorts . Et évidemment les stars mondiales pour les marques globales qui fédèrent : un clooney-omega de 15 mètres de large par çi, une adjani-lancel de 30 mètres de haut par là .
La sorcière Hantu déverse des tonnes d'eau sur ma tête , avec temps gris et grosse chaleur tropicale : quoique je fasse , je suis trempé tout le temps dès que je mets un pieds dehors ! Après un passage dans un cyber café crado du quartier chinois , pour m'abriter , je ressors avec ma puce d'appareil photo inutilisable . Merci beaucoup !!!!!
Heureusement , il n'y a que les photos prise ici que je n'avais pas encore copié sur mon ordi . Désolé, je repense quand même à celles très « campagne benetton », prises des collègues de déjeuner de Sarah , forts sympathiques : des français ( Sophie , Loulou, Charles ) , indiens , chinois . Ici les expats que j'ai pû rencontrer apprécient leur qualité de vie : ils bossent beaucoup mais profitent des bons petits restos le soir venu, puis le week-end semblent fuir vers d'autres horizons asiatiques , le pays étant hyper-central , et l'aéroport de Kuala, très bien desservi . Tous ont déjà visités , pour quelques jours seulement le plus souvent, les coins alentours .
Et d'ailleurs Sarah part elle-même en mission pour le Vietnam et pour la semaine .
Je reste donc seul avec la sorcière qui ne tarde pas à ressortir de son trou .
D'abord elle m'inocule le venin de la criso-déprime française , par l'intermédiaire du Monde du 22 février qui trainait sur la table et que j'ai eu le malheur d'ouvrir . Après plus de 4 mois , et pour la première fois , je me prends cette sinistrose française dans la figure . Totale déprime à toute les pages . Il faudra penser à juger un jour les patrons de presse et de télé pour forte aggravation du sentiment défaitiste et négatif de la population . Complètement irresponsables . A Singapour, ils ont également annoncé la récession , mais au lieu de se lamenter , les journaux écrivent « Et bien profitons que certains pays tombent pour prendre leur place sur les marchés » . C'est pas la même philosophie .
Le summum du journal étant bien évidemment ce journaliste qui a rouvert son Bernstein et Milza chapitre années 1930 , et qui s'en va à mots très peu couverts annoncer la Bombe iranienne sur Israël par l'enchainement de la crise politique à la crise éco . Pas très léger tout cela . Le venin se dissipera par le voyage .
Quand j'arrive à Malacca , au sud du pays, cette fois c'est mon appareil photo qui ne veut plus rien savoir . Rien à faire , je ne ferai pas le petit reporter-photo dans la Belle Malacca .
Cette ville , elle me plait bien ! Comme quoi , j'ai pas choppé le syndrôme du voyageur . La Malaisie ne sera pas mon « poisson-scorpion » à moi .
J'avais fait la connaissance à Kuala de deux jeunes français de 26 ans , d'abord Will puis Corto , et on fait route et visites ensemble . Vraiment très sympas dans leur genre . Tous deux convertis à l'Islam . Will prolonge par un tour de l'Asie du Sud Est son stage de box thaï , et Corto fait un tour du monde de l'Islam . Pas le même trip que mon tour du monde de Plages , c'est certain …
S'agissant d'un week-end de trois jours , il y a grosse foule de touristes nationaux . C'est la principale ville à avoir sû garder du béton ses vestiges coloniaux et ses quartiers chinois . Son port , sur le détroit éponyme, a connu de très riches heures depuis que les malais ont adopté l'islam au XVème siècle , et par là même ont pu commercer les précieuses épices avec le reste du Monde, ainsi placés entre Chine , Inde , Orient et Occident .
La ville attise ensuite la convoitise des puissances coloniales européennes qui s'y succèdent par les armes jusqu'à l'Indépendance dans les années 1950 ( Portugais , Hollandais et Anglais ) .
Les touristes nationaux raffolent du marché chinois nocturne très typique avec son avalanche de produits et d'aliments les plus divers au coeur d'un magnifique quartier , mais ne rechignent pas non plus au « traditionnel » tour au centre commercial du samedi après-midi ! Une scène un peu hallucinante, témoignant d'une certaine souplesse de l'islam malais : au milieu de la place principale du Mall, sur une estrade sponsorisée, je vois une jeune fille grassouillette et voilée qui doit verser debout le contenu d'une chope de thé lacté dans une autre, tout en devant se dodiner en suivant le rythme hyper syncopé de la musique tonitruante . Le tout sans rien laisser tomber et sous le rire de dizaines de malais et malaises , très petit-couples .
De manière générale , je sens mieux ici le multi-culturalisme de la Malaisie . Ca passe mieux avec un environnement historique . Dans la même rue , les belles maisons chinoises de commerce et les petites tables de restos installés pour la soirée avec leurs néons blafards et la fumée des woks , font face à la mosquée , au temple chinois et au temple hindou , quand ce n'est pas à une église protestante .
J'ai maintenant trouvé ce qui me plait dans ce pays : ce sont les témoignages, toujours d'actualités, de tout ce commerce installé là depuis des siècles aux confluents des plus grandes civilisations et nations commerçantes . Comme Kuala Lumpur a un urbanisme qui se veut moderne , je n'ai pas réussi à capter cet état d'esprit , les tours de verre ayant remplacé les rues d'entrepôt-boutique-maison.
Je suis un peu frustré de n'avoir pas pu faire de photos de Malacca , mais je réussi à en copier quelques unes de celle de Corto .
De retour à Kuala en taxi bon marché et sous des torrents de pluie , j'essaye de comprendre tout ce qui arrive à mon matériel informatique sous contrôle de Hantu . Commence alors mon marathon informatique entre les différents boutiques spécialisées du KLCC , le centre commercial des Petronas Towers : départ 10 H arrivée 16 H , ouf !
J'ai pu récupérer mes premières photos prises ici .
En gros après avoir eu un message de la présence de la Sorcière sous la forme d'un virus informatique dans mon mini-pc , je suis rassuré que l'appareil photo n'est rien , lui . C'est l'ordi la cause de tout , et sans doute à l'origine mon passage dans le cyber-café chinois de l'autre jour . Je contacte en France mon pool d'informaticiens aguerris, Cédric et Loic , qui a leur façon me rassurent et me donnent leur solution . La conclusion étant : prions pour que l'ordi tienne jusqu'au retour en France . Avec un nouvel anti-virus-hantu ça va mieux .
Mais la sorcière peut également agir avec rétroactivité : Gwen me confirme qu'aucune de nos nombreuses cartes postales de l'Ile de Pâques ne sont arrivés depuis maintenant plus d'un mois . J'enrage : partie on ne sait où, ma bonne quinzaine de cartes de mi-parcours, adressées à ma famille , mes amis et ma dernière Etude .
Après tout cela et une agréable soirée à siroter mon Singapore Sling ( je ne prends plus que cela maintenant ...) avec Sophie, la collègue de Sarah , au sommet du branché Sky Bar, avec vue plongeante sur les Twins Towers, je peux quand même partir presque sereinement pour Penang la grande Ile au Nord du pays , également carrefour de civilisations .
Et là, tout est vraiment unique et extraordinaire .
Je me croirais dans un album de Tintin .
La capitale de l'Ile, Georgestown , vient d'être classée par l'Unesco tout récemment . Et elle le vaut bien !
Tout comme Malacca ( également classée) elle présente un visage d'une intense et ancienne activité marchande entre chinois , malais et indiens . Sauf qu'elle est dix fois plus grande ! Vraiment géniale. Et je balaie rapidement ma précédente frustation de photographe .
On se croirait revenu dans ces ports asiatiques grouillant d'Avant-Guerre , avec sa foultitude de petits métiers , d'artisans , ses bâtiments coloniaux néo-classiques et massifs , anciens sièges de banques britanniques ou de sociétés d'imports-exports , ses triades - « associations » - chinoises qui occupent des quartiers entiers depuis des décennies , protégeant la famille et tous les habitants d'une région d'origine en Chine . Puis d'un seul coup on est plongé dans Old Delhi , avec ses femmes en saris , ses hommes qui reviennent du Temple marqué au front , pour replonger dans la malaisie musulmane avec ses mosquées , ses maisons de commerces aux peintures publicitaires presque séculaires et aux architectures les plus stylisées . Tout cela toujours en quelques centaines de mètres .
L'ensemble étant toutefois dominé par le côté chinois de la Ville .
Partout d'énormes idéogrammes peints, des petits autels domestiques accrochés aux piliers des devantures , des temples d'une richesse inouie , avec parfois une grande activité religieuse . L'encens m'enivre, et je peux rester des heures à regarder ces dévots , puis me perdre dans les rues , découvrir des centaines de détails d'un passé (architectural, associatif , commerçant , …) qui doit être révolu et bulldozeré dans les grands ports de la Chine continentale . C'est d'autant plus fascinant , qu'il ne s'agit pas d'une ville musée , mais bien d'une ville hyper-active encore habitée en son centre par ses habitants et commerçants . Et j'aurai pu encore y passer d'autres nombreuses heures . Avis aux amateurs de clichés authentiques .
En conclusion , ce que j'ai préféré en Malaisie , eh bien, c'est la Chine !!!
Mais , pas de méprise : cette Chine-là n'a pu exister jusqu'içi, en évitant les soubressauts de l'Histoire, que parce que sa communauté représentative vivaient en Malaisie , terre d'accueil pour le Commerce et d'une certaine tolérance religieuse , non remise en cause jusque là depuis le départ des britanniques.
Et la sorcière Hantu me direz vous ?
Eh bien , j'ai dû la croiser deux trois fois encore depuis mon arrivée à Georgestown . D'abord elle prit la forme d'un vieux clochardo-backpacker qui a foncé directement sur moi dans la rue en plein midi , en commençant à m'insulter en anglais . Rapidement zappé , le bougre a voulu me suivre , mais je l'ai rapidement semé . Puis , Hantu a modifié l'échelle du plan des randonnées à Penang Hill , l'ancienne station d'altitude très prisée des anciens colons pour venir chercher le frais dans une jungle à plus de 700 mètres au dessus du niveau de la mer . Je n'ai pas vu le panneau de retour du circuit , et je me suis retrouvé , après au moins quatre kilomètres dans la jungle, dans un cul de sac alors que tout en bas dans la vallée , je voyais le soleil rosir les immeubles . Course contre la montre pour ne pas être encore dans la jungle au crépuscule . J'arrive à la station du téléphérique , liquide , ayant croisé un serpent et ayant parcouru la forêt commençant à être pleine des sons de la nuit . Mais en descendant de la colline dans le nuit, je croisais Delphine , française en tour du monde , et on continua la route ensemble , puis le repas, étant , complètement par hasard, logés dans la même guesthouse .
Ensuite plus d'intervention malvenue .
Prochaine destination, la Thaïlande : mon premier pays , depuis mon départ , à ne pas avoir été colonisé par une nation européenne .